Avant-Propos à destination de la censure : Il s'agit ici d'une reprise d'un célèbre conte d'Andersen (1837). Si, pour une raison qui vous est propre, y voir une allusion à l'ordre du jour de l'assemblée nationale du 29 Janvier 2013 vous est insupportable, vous aurez loisir d'y voir plutôt une critique de la désindustrialisation. Ici, l'empereur n'est pas nécessairement celui qu'on croit, mais les saltimbanques, si. Enfin, comme de coutume, il y a lieu de préciser qu'il n'y a aucune incitation à la haine ou la discrimination dans cette histoire et que l'auteur ne cautionne absolument pas la brutalité des mœurs de cette époque sombre.
Quand j’étais petit, on m’a raconté cette histoire. J’en ai,
depuis, entendu une version un peu différente. C’est celle que je vais vous
conter.
C’était une époque où les
hommes vivaient dans la saleté, l’ignorance et la violence, où les puissants s’amusaient
à tyranniser les peuples et où les hommes de lettres n’avaient pas encore entrepris
d’illuminer par leur sagacité et leur
verve, le triste passage des jours.
A cette époque vivait un empereur. Il était fort soucieux de
sa personne mais éprouvait la plus grande difficulté à se trouver un habit qui put
démontrer sa toute puissance. Pire, ses habits semblaient en constante
rébellion contre lui-même. Tantôt son pantalon remontait trop quand il s’asseyait,
révélant sa maigre cheville. Tantôt sa chemise le grattait dans le dos, le forçant,
pour satisfaire l’irritation, à de
ridicules contorsions. Tantôt son sous-vêtement le contraignait à une démarche désavantageuse,
tantôt sa cravate s’échappait sous sa veste, comme si elle eut honte de
paraître à ses côtés.
La première concubine, une femme élégante et raffinée, jugea
qu’il était temps de remédier à cette grotesque situation et fit quérir de
toute urgence les meilleurs artisans de
l’empire, afin qu’ils conçoivent pour l’empereur un habit plus utile.
Aussitôt, se présenta au palais un défilé ininterrompu de
marchands, de drapiers, de tailleurs, de modistes et de tisserands. Mais nul ne
pût proposer un habit qui trouve grâce aux yeux de l’élégante.
C’est alors que se présenta un groupe de saltimbanques qui
se disaient capables de tisser les étoffes les plus fines, les plus agréables,
les plus riches qu’on puisse trouver. On les écouta. L’empereur lui-même vint à
leur rencontre.
Jugeant, en un regard, de la crédulité de l’empereur, ces
saltimbanques la, qui étaient en fait, une bande de bandits malfaisants, lui
proposèrent de tisser pour lui un tissu unique, digne de sa personne : un
tissu magique, qui restait invisible à tous ceux qui sont sots ou incapables de
remplir leurs fonctions.
« Fantastique »
se dit l’empereur, qui ne put s’empêcher d’y voir une occasion de confondre les
incapables et les sots de son entourage.
« Votre sérénissime excellence fait un fort bon choix »
lui répondirent les bandits malfaisants, « Ainsi votre pouvoir absolu sera sublimé ! »
Et la flatterie effaça ses derniers scrupules.
On apporta aux bandits une somme considérable de fil d’or, d’étoffe
précieuse et de diamant afin qu’ils puissent confectionner le vêtement. On les sustenta
de mets délicieux, de vins puissants et capiteux qui faisaient alors la renommée
de l’empire. On les logea dans les chambres d’apparats, toutes couvertes de matériaux
précieux et garnies de bibelots aussi rares que précieux.
Les bandits passèrent six mois dans le luxe et l’oisiveté. Ils
s’enfermaient, toutefois, quelques heures par jour dans l’atelier, ordonnant qu’on
y entre sous aucun prétexte. Alors, il faisait du bruit avec les métiers et les
draps afin de faire croire qu’ils travaillaient. Mais, jamais ils
ne fabriquèrent le moindre vêtement.
Vint le jour de l’essayage. L’empereur entra dans l’atelier
avec ses ministres. Il y a avait parmi eux le garde des sceaux et la ministre déléguée
au beau-sexe.
L’empereur demanda ou se trouvait son nouvel habit. Les
bandits répondirent :
« Mais, il est là, votre Illustrissime Splendeur ! il est là ! Sur
la table de confection ! »
L’empereur fut pris de stupeur. Il ne voyait rien,
strictement rien. « Suis-je sot ? » se dit l’empereur, « suis-je
incapable de remplir mes fonctions ? ». Mais il contint sa panique et convint de ne rien laisser
paraître.
« Qu’on me l’enfile ! » ordonna-t-il. Et il se
déshabilla.
Alors les bandits mimèrent un essayage.
« Voyez comme le tissu est léger » dit l’un des
bandits. « Voyez comme l’étoffe est fine » reprit un autre.
Et l’empereur, qui avait repris ses esprits, paradait dans la
salle afin qu’on admira à quelle point son nouvel habit manifestait l’importance
de ses attributions.
Mais personne ne voyait rien.
« Suis-je sotte ? » se dit la ministre déléguée
au beau-sexe.
« Suis-je incapable de remplir mes fonctions ? »
se dit le garde des sceaux.
Tous, terrorisés à l’idée de paraître sous leur plus mauvais
jours, faisaient cependant mine de voir le vêtement.
« Quelle grâce, quelle magnificence ! » s’exclamaient
les courtisans. Alors, l’empereur, emporté par l’effervescence de la cour,
ordonna à son héraut d’annoncer que l’empereur allait, sur le champ, défiler
dans la capitale, afin de faire découvrir à son peuple son nouvel habit.
« Annoncez un jour de fête, une année de célébration,
une décennie glorieuse, un siècle d’or » dit l’empereur.
Les bandits s’empressèrent de faire courir le bruit des
propriétés spéciales du tissu. Et lorsque l’empereur paru, toute la foule l’acclama.
On dressa des monuments, on illumina les chroniques de ce jour de liesse avec des feuilles de vignes, on décréta un nouveau jour férié.
Tout le peuple voulait un habit pareil à celui de l’empereur.
Alors les bandits établirent dans tout l’empire, et sur ordre de l’empereur,
des manufactures impériales. Leur productivité était excellente, et, en un
mois, tout le peuple fut habillé... ou déshabillé… comme vous voudrez.
Les marchands d’habits, les drapiers, les tailleurs, les modistes,
les tisserands, les confectionneurs de bouton, de fermeture éclair, de chaussure,
tous firent faillites. On brûla leurs installations et on les convertit de force à la nouvel mode. Ceux
qui doutaient étaient mis en prison.
L’histoire ne se termine pas très bien. En effet, quand l’hiver
arriva, la moitié de l’empire mourut de froid et l’autre moitié fut atteinte de
pneumonie. Il ne se passait pas un jour sans que, le peuple, en colère, ne défila
sous les fenêtres de l’empereur. Afin de les calmer, l’empereur fit pendre les
bandits malfaisants et par la même occasion, ordonna qu’on exécute tous les
saltimbanques de l’empire.
Finalement, l’empereur mourut et les artisans qui avaient été
convaincus de « doute envers la couronne » furent libérés. Ils ne se
moquèrent pas de l’infortune de leur pairs, ne cherchèrent pas à prendre leur revanche
car, parmi les morts, se trouvaient leur mère, leur père, leurs sœurs, leurs frères ou leurs amis.
On mit beaucoup de temps à rétablir la situation. Il fallut d'abord faire
perdre à la foule le goût du sang, puis reconstruire patiemment toutes les
manufactures,et enfin former à nouveau les artisans à un métier qu’on avait oublié.
Aujourd’hui, nous avons bien de la chance car rien de ceci
ne pourrait arriver !
C’était une époque où les hommes vivaient dans la saleté, l’ignorance
et la violence, où les puissants s’amusaient à tyranniser les peuples et où les
hommes de lettres n’avaient pas encore entrepris d’illuminer par leur sagacité et leur verve, le triste passage des jours.